Cela fait 7 ans que je suis présidente de cette structure d’insertion par le travail qui accueille une cinquantaine de bénéficiaire par an.
Voilà ce que je tenais à dire cette année dans mon rapport moral :
« Etre bénévole : pour quoi faire ?
Le bénévolat est une tradition française, un exemple de solidarité. Le bénévole est une personne de passion, et de générosité par essence. Son action lui procure des satisfactions morales personnelles.
A Chablais Insertion, les bénévoles réfléchissent à quelles actions on peut mettre en place pour améliorer l’insertion par le travail des plus défavorisés. Ils se mettent en action pour développer une véritable synergie sur le territoire du Chablais pour optimiser les politiques d’insertion des pouvoirs publics. Les bénévoles pensent également à ceux qui font Chablais Insertion au quotidien en menant des réflexions et des actions pour améliorer les conditions de travail et la reconnaissance du personnel. Ils s’engagent aussi pour la recherche de nouveaux fonds financiers. Concrètement, ces dernières années cela avait donné la création d’un chantier pour les femmes ; une concertation sur les évaluations et sur la politique des primes et des augmentations ; des échanges directs avec les autres responsables d’association du même type ; le déménagement de notre structure avec à la clé une réorganisation et une amélioration des conditions de travail et d’accueil ; ou encore l’accompagnement des démarches pour la création d’une convention collective nationale.
Voilà un tableau idéal de nos actions. Mais ceci était valable il y a bien plus d’un an. Aujourd’hui être bénévole d’une structure comme la nôtre est loin d’être un long fleuve tranquille, loin de l’épanouissement personnel que l’on pourrait en tirer. L’environnement dans lequel on évolue se dégrade considérablement. Je me souviens le temps où je « traînais » à l’Atelier pour discuter avec les filles. Je me souviens le temps où je faisais le tour des chantiers. Aujourd’hui, on ne réfléchit plus, on ne construit plus. On passe notre temps à nous défendre, parfois au tribunal où l’on est amené à s’expliquer tel un accusé, même s’il s’avère au bout du compte que nous sommes en règle avec le droit. On passe notre temps à nous expliquer, ou à nous vendre. Aujourd’hui les bénévoles de Chablais Insertion passent leur temps à se dire : combien il nous faut ? Comment on va faire ? Est ce que le rendez vous avec l’avocat est calé ? Qu’est ce qui va se passer ? Les organismes nous traitent parfois comme des employés non-payés, passant du statut de partenaire du « construire ensemble » à celui du simple prestataire de service. Les salariés ne voient en nous que des employeurs et nous situent parfois dans une dualité salarié/patron avec tout ce que cela comporte et peut provoquer.
Nous ne rejetons pas nos responsabilités. Mais pouvez vous nous dire où se trouve l’épanouissement personnel de notre mission de bénévole ? On ne fait que gérer des soucis, on n’a plus le temps pour les rapports humains. Et oui, les bénévoles ont le blues ! La femme de l’un ne comprend pas que son époux s’embarrasse avec autant de soucis. La conjointe d’un autre se dit qu’il ferait mieux de dépenser son énergie à autre chose. Et nos maris nous conseillent d’arrêter de nous rendre malade ?
Ce que l’on veut ? Que l’on nous voit comme des bénévoles ! Que l’on nous respecte comme n’importe quel bénévole. Si on passe 2010 comme ont passé 2008 et 2009, je m’interroge sur comment je vais faire pour motiver mes troupes. Qu’est ce qui peut les retenir à Chablais Insertion ? La ressource bénévole n’est pas inépuisable. Ce qui est le cas à Chablais Insertion, est le cas dans de nombreuses associations. Pourtant, les bénévoles constituent sans conteste une richesse collective et sa pérennité doit nous préoccuper en tant que société prônant la solidarité sociale. Mais en quels termes cette préoccupation doit-elle se poser ? Je ne sais pas !
Comment promouvoir le bénévolat ?
J’ai trouvé un argumentaire d’un sociologue canadien pour répondre à cette question, et je vous le livre :
« Supposez un instant qu'une banque dépose dans votre compte, chaque matin, un montant de 86 400 $. Elle ne garderait aucun solde d'une journée à l'autre. Chaque soir, tout ce que vous n’avez pas utilisé disparaît de votre compte. Vous ne pouvez pas transférer cet argent. Juste le dépenser. Que feriez-vous? Retirer jusqu'au dernier sou, bien sûr!!! On s’achète une grosse maison, une BMW, un Winnibago, un manteau de vison, on fait le tour du monde, on va manger chez Henry Burger trois fois par semaine et on fait venir Céline Dion dans son salon…! Et quand on aurait comblé toutes nos fantaisies, on se dirait… « Partageons! » Avec nos enfants, nos amis, nos proches, les gens démunis qui nous entourent, les organismes, la paroisse. Ce que je veux vous dire, c’est que chacun de nous a une telle banque. Son nom est le TEMPS. Chaque matin, on reçoit dans notre compte 86 400 secondes. Chaque soir, on efface tout ce qu’on n’a pas utilisé. Il ne reste rien au compte. Et chaque matin, un nouveau dépôt est effectué. Jusqu’à la fin de notre vie. Qu’est-ce qu’on fait de ces secondes? On court partout. Sans arrêt. Regardez les gens autour de vous tout va tellement vite que les enfants commencent à courir après le temps avant même d’avoir appris à marcher. On vit dans un monde de consommateurs et les 86 400 secondes d’une journée sont dépensées à la vitesse de l’éclair. Entre le travail, les enfants, Internet, les tâches quotidiennes et la télévision, les gens épuisent tout leur temps en banque. La démonstration que je veux vous faire avec cette histoire, c’est que tous les êtres humains sont égaux. En terme de richesse monétaire, il y en a bien sûr qui sont plus riches que les autres. Mais nous sommes tous égaux dans notre banque de temps. Tout le monde reçoit chaque jour les mêmes 86 400 secondes et a le choix de les dépenser comme il le veut. Alors, à ceux qui vous disent « on sait bien, toi, t’as le temps de faire du bénévolat… », eh bien vous pourrez leur répondre : « on a tous reçu le même nombre de secondes au lever du jour.» Bref, le bénévolat, ce n’est pas une question de temps. C’est une question de choix, une question d’amour et une question d’humanisme. »
Quel que soit le temps que vous consacrez, quelle que soit la forme que prend votre bénévolat, vos gestes peuvent faire et font la différence. C’est une question d’humanisme. Mais l’humanisme a ses limites. Ce que je souhaiterai et c’est mon vœu pour 2010, c’est pouvoir donner mon temps à ceux qui en ont vraiment besoin ; et ne plus le gaspiller à gérer les ennuis. Simplement pouvoir encore avoir la sensation du plaisir de donner.