Je tiens à vous faire partager les reflexions de Gérard Mermet, sociologue reconnu, auteur de Francoscopie. Des reflexions de bon sens. Bon sens que beaucoup semblent avoir perdu aujourd'hui
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Sous divers prétextes, les bénéficiaires des régimes spéciaux défendent le maintien de ce que l'on doit appeler, en toute objectivité, des privilèges. A tous ceux qui s'efforcent de regarder la société sans prisme idéologique ou politique, mais en se réclamant du bon sens, de l'équité, de la solidarité, de la responsabilité, leur attitude paraît irresponsable, voire indécente.
Rappels :
Les bénéficiaires des 128 régimes concernés partent à la retraite bien avant ceux du régime général. Exemples : 50 ans pour les agents de conduite SNCF ou RATP; 53 ans pour les sénateurs, 55 pour les députés qui auraient dû montrer l'exemple...;
La durée moyenne de leur retraite est pour beaucoup supérieure à celle de leur vie active et ils percevront ainsi plus de pensions qu'ils n'ont reçu de salaires!
Le montant de leur retraite est calculé sur les 6 derniers mois de salaire (comme pour les fonctionnaires, qui bénéficient encore à ce titre d'un régime spécial), soit un écart considérable par rapport aux 25 années du régime général. Leur taux de cotisation est en outre souvent inférieur (7,8% contre 10 à 11%);
La plupart bénéficient par ailleurs d'un autre privilège important : la garantie de l'emploi;
Dans l'immense majorité des cas, l'existence de ces "exceptions" n'est plus justifiée par une pénibilité particulière du travail;
Le coût de ces régimes (qui concernent 1,2 million de retraités pour seulement 560 000 actifs) représente 15 milliards d'euros pour 2007, dont la moitié payée par la collectivité.
La France est le seul pays développé au monde où demeurent de telles inégalités;
La réforme de ces régimes est souhaitée par 82% des Français (sondage Metro/Ifop, 11 octobre 2007), y compris par une majorité des agents de la Fonction publique;
On estime à 300 milliards d'euros les engagements de retraite des sept principaux régimes spéciaux au cours des six prochaines décennies : une charge injuste et insupportable pour les générations futures.
Un constat semblable peut être fait pour les autres réformes jugées nécessaires par la grande majorité des experts : université; recherche; fonction publique; système de santé; droit du travail; justice; dialogue social... Réalisées dans les autres pays depuis des années, elles sont chez nous sans cesse bloquées par des minorités fortement politisées, incapables d'appréhender la réalité du monde et la nécessité de s'y adapter (ce qui n'interdit pas de chercher à l'améliorer).
La réforme des régimes spéciaux était a priori la plus "facile" et consensuelle, d'autant qu'elle a été comme d'habitude proposée aux intéressés avec des aménagements et un étalement dans le temps. Un recul du gouvernement rendrait donc quasiment impossible la mise en œuvre des réformes plus "difficiles". Il démontrerait une fois encore que des individus et organisations se réclamant des principes d'égalité et de solidarité défendent en réalité des corporatismes, des égoïsmes, des privilèges injustifiables ou un statu quo insupportable. Comme en 1995, ils peuvent (souhaitent peut-être, pour certains) paralyser le pays et l'enfoncer un peu plus dans la crise économique et morale.
Cette attitude est irresponsable et dangereuse. De plus, la conjoncture économique actuelle ne permet pas de différer plus longtemps les réformes, sous peine d'un nouveau décrochage national, avec de graves conséquences sur le pouvoir d'achat, la cohésion sociale, la place de la France dans le monde. Rappelons enfin que les grèves occasionnent une gêne considérable pour les particuliers, coûtent très cher à la collectivité (150 millions d'euros pour celle du 18 octobre dans les transports pour la seule région Ile-de-France), affectent la compétitivité déjà réduite de la France, son attractivité et son image à l'extérieur, donc son avenir.
Face à cette situation, les citoyens inquiets et en colère ne peuvent rester silencieux. Pour leur propre dignité, pour l'avenir de leurs enfants et du pays, ils ne doivent pas laisser le monopole de l'expression à ceux qui refusent l'adaptation.
Nous ne pouvons accepter que le pouvoir de nuisance de quelques-uns mette en péril notre avenir commun.