Sous l’ère technocratique la performance se mesure grâce à la
« Boîte à moustaches »
L’an dernier, je vous avais annoncé que vous alliez aimer la surprise de 2019. En public évidemment, tous les gouvernants louent le travail des Missions Locales. Mais en coulisse la machine de Bercy a de la malice, et sa mécanique est très violente.
En 2017, on se souvient de la violence de l’annonce de la fin du dispositif Emploi d’Avenir. Annonce le 16 aout, pour des contrats qui débutaient le 1er septembre, sans aucun préavis, laissant sur le carreau une dizaine de jeunes dans le Chablais, sans compter les employeurs démunis du jour au lendemain.
En 2018, c’est un 18 juillet que nous avons eu droit à l’annonce choc, dans un communiqué de presse du Gouvernement : « Les collectivités locales volontaires pourront participer à des expérimentations visant à fusionner les structures de la mission locale au sein de Pôle emploi avec une gouvernance adaptée ». Voici donc que le Gouvernement, sans aucune concertation, annonce sa volonté de voir disparaitre les Missions Locales. Mais la mobilisation contre cette idée a été à la hauteur de l’ineptie. Merci à l’Association des Maires de France pour son soutien.
2019 est sur la même tonalité, avec des éternels bras de fer entre les Missions Locales et le Gouvernement.
Le 15 mars, le rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) sur l'évaluation du partenariat renforcé entre Pôle emploi et les missions locales, rédigé en décembre et mis en ligne le 15 mars 2019 semble confirmer que l’on peut enterrer l’idée de la fusion des Missions Locales avec le Pôle Emploi. Mais propose la mise en place de GIP. La solution juridique semble avoir été trouvée. « Il découle de tout ce qui précède que la constitution d’un GIP composé de Pôle emploi et des missions locales (qu’elles soient constituées sous forme d’associations ou sous forme de GIP) apparait possible, dès lors que l’activité de ce nouveau GIP apparaît conforme aux missions exercées par ces différentes personnes morales. » Et dans le même rapport, deux pages plus loin, on découvre comment l’Etat peut nous y contraindre : « Au regard de ces différents éléments, il est possible de conclure qu’aucun principe constitutionnel ne fait obstacle à ce que le versement aux missions locales d’une part significative des subventions publiques soit subordonné au respect de certaines conditions, et notamment celle d’intégrer un GIP destiné à renforcer la coopération sur l’accompagnement des jeunes. »
La semaine suivante, deuxième séquence. La DGEFP annonce une baisse globale de 4% des crédits votés par le Parlement alloués aux missions locales. Honnêtement, on doit reconnaitre que l’on s’y attendait, du fait du contexte financier de notre pays. On s’attendait à ce -10 000 euros. Par contre, ce que l’on n’a pas vu venir, c’est l’annonce de -4% par an pendant 4 ans. Et puis ce que l’on a vu encore moins venir, c’est l’annonce de la globalisation des crédits et de la diminution par 2 du forfait Garantie Jeune. Le forfait pour l’accompagnement d’un jeune en GJ est de 1600 euros en 2018. On nous annonce le passer à 800 euros. Au niveau national, c’est un rapt de 60 millions d’euros. Pour le Chablais, c’est un rapt de 80 000 euros. Et pour couronner le tout, en nous annonçant la globalisation des crédits, l’Etat prévoit donc de n’avoir qu’une seule enveloppe pour les Missions Locale. Idée plutôt intelligente, et simplificatrice. En clair, on supprime toutes les enveloppes spécifiques pour des actions spécifiques ; on fait le cumul et on crée un global qui correspond a la subvention de fonctionnement de la Mission Locale. Mais en mettant, les forfaits GJ dans le global dés 2020, les baisses de 4% impacteront les forfaits GJ. La résistance s’organise donc. Les Missions Locales de toute la France refusent de contractualiser avec l’Etat. Aucune convention n’est signée. Un acte courageux, car sans convention pas de subvention versée. Les Missions Locale s’organisent, rencontrent les instances à l’Elysée, dans chaque préfecture et dans chaque Direcct ; et envisagent même un appel à la solidarité des collectivités avec des demandes d’avance pour avoir de la trésorerie et payer les salaires. On ne lâche rien. Sur 6 semaines, on est sur tous les fronts, partout. Du coup, c’est le Gouvernement qui cède le 7 mai. Madame le Ministre annonce une enveloppe exceptionnelle, avec un forfait à 1440 euros par jeune en GJ (ce qui correspond au cout moyen de l’accompagnement). Notons au passage que l’enveloppe n’est en fait pas exceptionnelle puisque c’est juste la somme qui nous a été enlevée, et qui n’est en fait que restituée. Au niveau national, on retrouve notre enveloppe de 410 millions d’euros. En clair, pour la Mission Locale du Chablais, on passe sur notre budget d’une perte de 90 000 euros, à une perte de 26 000 euros pour 2019. Mais ne perdez pas de vue la baisse de 4% par an sur 4 ans.
Dernier épisode : à l’automne, l’Etat nous annonce un nouveau « pilotage de la performance et de l’efficience du réseau des missions locales ». La DGEFP nous présente alors un nouvel outil national d’analyse. On nous explique : « Le pilotage des missions locales pour la période 2019-2022 s’inscrit dans une démarche de performance à la fois renforcée, avec une allocation des moyens davantage appuyée sur la performance des missions locales, et renouvelée, avec la mise à disposition d’un outil d’analyse de la performance focalisé sur 10 indicateurs clés nationaux. L’idée d’évaluer la performance est une bonne chose, et c’est même souhaitable. Cette nouvelle matrice mathématique s’appelle la « Boîte à Moustache ». Un algorithme qui repose sur une classification des missions locales par groupe de types cohérents, et calcule leurs résultats en comparaison aux missions locales du même groupe. Cette méthode constitue une aide à la détermination d’une part de notre financement. Une aide à la définition rationnelle et proportionnée des valeurs de cible à atteindre par les missions locales avec une référence au niveau national, régional et à un groupe homogène de missions locales. Vous n’avez pas compris grand-chose ? Normal, c’est technocrate ! La performance, nous disons oui ! Rappelant tout de même que nous avons toujours été évalués. Mais sur des objectifs. Par contre, que cela soit un algorithme dont nous n’avons pas toutes les informations sur la pondération des critères, qui décide de nos financements, je suis dans l’incompréhension totale des nouvelles politiques de l’emploi de l’Etat.
En résumé…. On passe notre temps à lutter contre une technocratie jacobine qui ne comprend pas ce que l’on est, qui ne comprend pas ce que l’on fait ; tout cela dans une ambiance démocratique totalement hors sol.
Pour 2020, l’année est marquée par la pandémie qui fait rage. Crise sanitaire, suivie d’une crise économique, et d’une crise sociale. Notre Mission Locale a été sur le pont. Merci à son personnel pour son investissement. Nos jeunes ont été en contact. Nous sommes restés mobilisés. Nous avons également très rapidement appréhendé la suite sociale. Et le bureau a décidé de proposer au budget 2020, la création d’un poste en renfort. Un poste totalement financé sur nos fonds propres. Nous ne demandons rien aux collectivités qui auront bien à faire par ailleurs. Nous mettons tout en œuvre pour apporter les réponses les plus durables aux jeunes qui viendront à la Mission Locale ; pour une orientation, une formation, un emploi, un programme de suivi et des aides pour leur quotidien. Vous savez pouvoir compter sur nous.
Je vous invite à lire deux documents joints :
- Une tribune dont je suis cosignataire en tant que membre du bureau de l’Union Nationale des Missions Locales.
- L’enquête de la Dares sur les conséquences du Covid-19 sur les Missions Locales
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