“Absentéisme, Echec Scolaire, décrochage scolaire, raccrochage scolaire, manque de persévérance scolaire.
En 10 ans les mots ont évolué, mais les maux restent les mêmes.”
En 2009, je commençais mon rapport moral par ces propos: “ Il faut être lucide. Le problème du chômage des jeunes est un problème de fond, avec des causes structurelles. Au premier rang desquelles il y a l’échec scolaire, et une orientation défaillante qui exclue plus qu’elle ne promeut l’enfant ».
Cette année là, La Mission Locale du Chablais accompagnait dans ses effectifs 10% de jeunes mineurs. Tous n’allaient plus à l’école. Ou seulement de temps à autres. On nous expliquait alors qu’il n’y avait rien d’inquiétant, il s’agissait simplement d’absentéisme répété, car la déscolarisation n’existait pas, ces jeunes restaient bien dans les effectifs scolaires. On nous rappelait au passage, les prérogatives de chacun et que la Mission Locale ne peut prendre en charge des jeunes scolaires, même si ils ne vont plus à l’école. Nous étions dans une logique de « chacun son jeune ». Les élus de la Mission Locale de l’époque n’ont pas voulu en rester là, la problématique étant réelle et le temps n’était plus propice à la querelle du « chacun son jeune » dont les jeunes que nous connaissions pouvaient pâtir. Nous avons donc lancé un groupe de travail coopératif qui rassemblait des professionnels de l’Education Nationale, des services Jeunesse, de la Prévention Spé, de l’Insertion et de la Mission Locale. La volonté était là. Le premier barrage a été le partage de données. Impossible de connaître les noms des jeunes absentéistes réguliers. Notre premier travail a donc été d’aller chercher les jeunes « qui tiennent les murs » expression qui désignent ceux qui passent leur journée aux pieds de leurs immeubles, car ils ne sont pas en classes. Ceci n’est pas une anecdote. Mais la réalité de quelques dizaines de jeunes, et la défaillance d’un système qui n’a que trop duré et qu’il nous faut changer.
Le Chablais n’est pas une exception. Les chiffres clés des missions locales de Rhône-Alpes en 2010 soulignaient qu’un peu plus du tiers des jeunes décrocheurs mettaient en moyenne 31 mois et plus pour s’inscrire en Mission locale. Une période d’errance qui est en fait un trou noir. Dans une enquête, dont les conclusions viennent d’être communiquées, la MRIE (Mission Régionale d’Information sur l’Exclusion) en collaboration avec l’URML (Union Régionale des Missions Locales) apporte un éclairage sur la rupture scolaire qui marque fortement le parcours du décrocheur et impacte certainement son rapport futur aux institutions.
Que dit cette étude ?
« Certains jeunes ne sont ni en emploi, ni en formation, ni en recherche, mais pour autant leurs réalités de vie sont diversifiées. Une part d’entre eux, après avoir « décroché » du système scolaire, coupent les ponts avec l’extérieur pour un temps (quelques mois voire quelques années) et se renferment au sein du cocon familial, voire s’isolent complètement. C’est en quelque sorte une fuite de la réalité « je ne vois personne, je n’ai plus de problème » dit une jeune fille. Internet offre alors des ressources inépuisables pour s’occuper (films, séries, documentaires,…).
D’autres « rouillent » dans le quartier, les jeunes qui ne sont pas occupés par leurs études, un emploi ou autre, se retrouvent en bas des immeubles pour « ne rien faire » ensemble. Selon les témoignages recueillis, c’est tout d’abord un signe de rébellion puis cela devient pesant et ennuyeux sur la durée.
Les Missions locales sont en grande difficulté pour proposer quelque chose aux jeunes de 16-18 ans, par conséquent à part attendre de grandir, quels choix s’offrent à eux ? Globalement c’est une période où les journées sont longues et ennuyeuses, teintées de culpabilité « je ne sers à rien ». Le sentiment de décalage par rapport à une norme est prégnant et difficile à vivre.
Ce temps de latence est vécu diversement par les jeunes rencontrés. Certains y voient une prise de recul, un temps de réflexion bénéfique, d’autres, notamment ceux qui ont pu expérimenter l’emploi, une expérience enrichissante ou instructive, et d’autres enfin, n’en retiennent au cours de l’entretien qu’une perte de temps et du gâchis, qu’ils regrettent ou assument selon les jeunes. Ceux-ci semblent endosser l’entière responsabilité de leur échec, mais est-ce seulement le leur ? » (Mrie rapport Avril 2015).
Que doit-on retenir de cette étude ?
Avant toute chose, il nous faut savoir mobiliser le jeune. Mobilisation, n’est pas motivation. Car la motivation est considérée dans notre pays comme un préalable à la formation. Tout comme les objectifs sont des préalables dans nos écoles. Mais en décidant que les objectifs sont des préalables, ne créons nous pas de l’exclusion ? N’est ce pas à l’école de motiver et de savoir rendre le jeune attentif ?
Aussi, il nous faut savoir accompagner le jeune. Un accompagnement bienveillant, pour le mettre dans une spirale de réussite. L’accompagnement c’est savoir définir les rôles ou chacun tient sa place et sa responsabilité dans un collectif. Les bases de socialisation.
Des mots, que des mots me diriez-vous ! Mais ces mots ont du sens. Une expérience a été menée dans notre Région. Sur 4 ans, elle a accompagné 3 300 décrocheurs sur 103 projets tests novateurs. C’est le Plan de Raccrochage. Des jeunes de niveau 5 et 5bis, issus le plus souvent de lycées pro, qui ont connu une errance de 18 mois et détectés par la Prévention Spé, les services de l’enfance et des Missions Locales. Chacun de ces jeunes ont bénéficié d’un accompagnement de 4 mois : stage, modules de compétences clés, stages sportifs, remobilisation intensive. Au final : 64% ont eu une solution positive. Entrée en formation, en alternance, en emploi. Pourquoi est ce que ces 103 expériences novatrices ont fonctionné ? Cela a marché grâce à une coopération totale, sans condition, de chacun des acteurs concernés, qu’ils soient proviseurs, éducateurs, travailleurs sociaux, conseillers emplois, conseillers d’insertion. Dans ces 103 expériences, tous se sont réunis, et se sont posé collectivement des questions clés sur des cas précis de jeune en toute transparence, et en acceptant de passer outre des blocages administratifs existants, comme le partage du signalement de décrocheurs potentiels. Je vous rassure, tout ceci, avec la bienveillance des institutions mères, qui ont observé ces initiatives ; et les analyses encore aujourd’hui.
Alors pourquoi pas dans le Chablais ?
Sur le Chablais beaucoup ont la volonté de faire quelque chose. Beaucoup veulent passer de la bonne idée à l’action. Cela est possible si nous avons un objectif commun qui nous anime. L’action collective sera la base de la réussite de toute action pour le raccrochage scolaire, ou pour le raccrochage à l’activité. Il nous faut créer notre réseau de coopération. Un travail en toute transparence. Un réseau où l’on se soutient. Il nous faudra avancer sans apriori, selon les cas savoir reconnaître nos défaillances, pour mieux affronter et être plus forts face aux réalités du système. Sachons-nous dire que nous ne travaillerons pas sur la masse, mais sur quelques dizaines de jeunes.
Les Missions Locales ont la réputation d’être des trublions, et nous assumons notre statut d’agitateurs d’idées.
Alors, je formule un vœu : soyons capables ensemble de sortir de notre zone de confort professionnel, de faire quelque chose qui n’est pas notre métier d’origine. Soyons innovants et donc créatifs. J’ai l’intime conviction que c’est par ce biais que nous pourrons remobiliser ces jeunes décrocheurs, retrouver leur confiance en les institutions. Nous avons tous intérêt à travailler ensemble, pour l’emploi de tous. Car la finalité, c’est bien celle là. Si cela à marché ailleurs, pourquoi pas chez nous ?