Petite leçon d’un filoutage en règle de l’administration
Les députés ont voté le 7 novembre dernier une rallonge financière de 10 millions d’euros pour les missions locales, contre l’avis du gouvernement. Un vote lors de leur examen en séance publique des crédits de la mission travail et emploi dans le cadre de la première lecture du projet de loi de finances pour 2014. Pour ne pas grever les finances de l’Etat, les députés ont prévu que ce crédit soit prélevé sur le programme consacré aux contrats de génération, dont le déploiement se fait difficilement, et dont les budgets ne sont pas consommés. En effet, en fin d’année 2013, 10.000 contrats de génération avaient été signés, pour un objectif de 100.000 par an sur cinq ans. Initialement, le budget prévu par le projet de loi de finances 2014 pour les missions locales atteignait 178,8 millions d’euros, auxquels s’ajoute une enveloppe de 45 millions d’euros attribuée pour notre travail d’accompagnement du dispositif des emplois d’avenir (30 millions d’euros pour 100.000 emplois d’avenir en 2013 et 15 millions supplémentaires pour atteindre 150.000 emplois en 2014).
Le gouvernement n’était pas favorable à cette augmentation budgétaire, estimant qu’avec la dotation de 45 millions d’euros entre 2013 et 2014, « ce sont 25% de crédits de fonctionnement des missions locales en seulement deux ans qui ont ainsi augmenté, ce qui représente un effort important, même s’il est légitime », comme l’a souligné Michel Sapin, ministre du Travail de l’époque, durant les débats. « Un effort financier considérable ayant déjà été consenti en faveur des missions locales – qui reflète la confiance profonde que le gouvernement leur porte -, il ne paraît pas nécessaire d’augmenter les crédits plus qu’il n’est déjà prévu, » a-t-il conclu.
Mais sur le sujet, Jean-Patrick Gille, député PS d’Indre-et-Loire et président de l’Union nationale des missions locales (UNML), a voulu clarifier les choses. « Le gouvernement octroie 30 millions d’euros pour 100.000 emplois d’avenir, ce qui représente un surcroît de 300 euros par jeune que les missions locales suivent : négocier le contrat, mettre en place le volet de formation. Cette dotation est augmentée cette année : elle passe de 30 à 45 millions d’euros. Pourquoi ? Parce que l’on passe de 100.000 à 150.000 emplois d’avenir. Il n’y a pas d’augmentation par jeune suivi », a-t-il ainsi signalé, insistant sur le fait que la dotation des missions locales était bloquée depuis plusieurs années.
Pour les Présidents des missions locales, c’est une petite bouffée d’oxygène car on évoque souvent un état des lieux difficile au sein des missions locales, avec une charge de travail importante due aux nouveaux programmes (emplois d’avenir, décrocheurs…) et à la pression exercée par les préfets pour obtenir des résultats rapides. Les Emplois d’Avenir, ont été fastidieux à mettre en œuvre, avec beaucoup d’actes professionnels pour un seul recrutement. Le gouvernement ne se rend pas compte de tout le travail qui a été fait. On tire un peu trop sur la ficelle !
Si l’on parle chiffre, les choses sont très claires. En Haute-Savoie le nombre de jeunes accueillis dans les Missions Locales en 5 ans a augmenté de 17%. Dans le Chablais, nous enregistrons une hausse de jeunes accueillis de 8%. Dans le même temps les dotations de l’Etat via le Contrat d’objectif restent identiques depuis 2009, à 233 737 euros. Nos équipes ont un public de plus en plus nombreux, et de plus en plus difficile avec des problématiques de plus en plus lourdes. Donc oui, nous sommes sous pression du public, et des services de l’Etat qui veulent des résultats positifs coûte que coûte. Alors oui, nous comprenons l’urgence de la situation depuis 2009, c’est pourquoi nous sommes toujours aussi motivés. Alors oui, nous comprenons aussi les difficultés financières de l’Etat, c’est pourquoi nous faisons notre job sans trop rechigner. Cependant, nous savons aussi que sans le concours des communes de notre territoire qui se mobilisent pour les jeunes, nous ne pourrions pas faire tout ce que l’on réalise.
J’en reviens donc à notre enveloppe de 10 millions votée par les députés. Cette enveloppe, elle n’est pas volée, elle nous a été attribuée par la voie démocratique. Cette enveloppe, doit nous permettre d’accompagner le dispositif Emploi d’Avenir, et la mise en place demain de la Garantie Jeune. Elle s’inscrit clairement dans une intention de renforcement de nos budgets de fonctionnement qui stagnent depuis 5 ans.
Nous avons appris, la semaine dernière, que le Préfet de Région, a décidé que l’enveloppe de Rhône-Alpes irait sur des financements d’investissement, du renforcement de trésorerie pour les Missions Locales en difficulté, et dans le fond de l’Etat FIPJ. Donc, rien à voir avec les intentions des députés.
Plus fort encore, pour la Haute-Savoie, la DIRECCTE nous informe qu’en fait nous avons déjà bénéficié de l’enveloppe de notre département qui est de 80 000 euros, via le Contrat d’Objectif signé avec les 4 Missions Locales. En clair, en Haute-Savoie on bouche les trous de la DIRECCTE, et les Missions Locales du département n’ont aucun crédit de fonctionnement supplémentaire.
Je m’étonne donc, comme les autres Présidents, que la noble intention nationale de renforcer nos structures, se traduise in fine au plan local en néant total, dans le mépris de l’aggravation du service rendu au public jeune en difficulté. En clair, les députés ont voté une enveloppe dans le projet de loi de finance 2014, contre l’avis du Gouvernement. Par une opération de passe passe dont l’administration a le secret, l’Etat a récupéré son enveloppe dans un total dénis de la démocratie.
Ce rapport moral, s’apparente à un coup de gueule. Mais il ne s’agit pas d’un coup de gueule chablaisien. Aujourd’hui la mobilisation s’organise, et les présidents des Missions Locales, tout petit service public que nous sommes, comptent bien dénoncer ces méthodes. En effet, en tant qu’élus locaux nous ne pouvons tolérer que l’administration décide l’inverse de ce qui a été voté à l’Assemblée Nationale, faisant fi des choix politiques faits.