« Les emplois en insertion coûtent trop cher à la société ! »
Un nouveau postulat ?
Il y a un mois un titre a fait la Une de tous les journaux télévisés : « Les emplois en insertion coûtent trop cher à la société ». Une information suite à la publication d’un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l’Inspection générale des finances (IGF). Un rapport qui est issu d’une commande interministérielle formulée par trois ministres (ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, ministre de l’économie et des finances, ministre délégué chargé de l’économie sociale et solidaire et de la consommation). Un rapport qui, quelques jours plus tard, nous apprenons, sera la base de travail du Gouvernement pour la grande réforme de l’insertion. Michel Sapin, ministre de l’Emploi se veut rassurant et confirme de suite devant le Conseil National de l’Insertion par l’Activité Economique, la place de l’IAE dans les politiques nationales de l’emploi.
Mais s’appuyant sur ce rapport qui divise les réseaux associatifs de l’IAE, le ministre annonce le calendrier et les grands sujets que devra résoudre la réforme. Les grands sujets sont : aides modulées en fonction du public ou du secteur - Premier sujet à traiter d’ici le mois de juin ;le financement et la décentralisation ; et les publics de l’insertion avec en arrière fond une probable limitation de l’accès aux chômeurs de longue durée – même si cela doit exclure les personnes qui sortent de contrat aidés ou qui n’ont jamais travaillé. Tout se joue maintenant et la réforme de l’insertion par l’activité économique intègrera en partie le projet de loi sur l’économie sociale et solidaire que présentera le ministre Benoit Hamon au mois de juillet en Conseil des ministres. Une réforme, sans réelle concertation, puisqu’aucune réunion d’information sur ce sujet n’a eu lieu au niveau des Conseils Départementaux de l’Insertion, et aucun échange n’a été organisé. Cette réformeentrera en vigueur dés le projet de loi de finances 2014.
Les emplois en insertion, ça coûte cher à la société ! Non, c'est même le contraire !
Près de 1,2 milliard d’euros de subventions publiques directes est alloué au secteur de l’IAE pour 57 000 ETP en insertion, soit un coût moyen de 20 900 € par ETP et par an de subventions publiques. Ce coût étant ramené à 42 100 euros par ETP pour les chantiers d’insertion. Tout ceci, financée aujourd’hui à 50 % par l’Etat (principalement des aides aux postes), et à 25 % par les conseils généraux, le reste provenant des conseils régionaux, des communes et de l’Union européenne.
Certes cela coûte effectivement cher. Mais il ne faut pas que ce postulat soit le fondement d’une réforme caril s’agit en fait d’analyse biaisée car l’appréciation du coût de l’insertion n’est étudiée que sous le prisme « dépense publique » ne rendant aucun compte du coût réel de la mission insertion, des richesses créées dans les territoires ou des coûts évités pour l’Etat, les régions, la sécurité sociale, ni même des recettes que cela rapporte à l’Etat.
Alors combien coute un salarié en Insertion à Chablais Insertion ?
Partons du budget 2012, dont les comptes sont clos. Chablais Insertion, c’est un budget de 1 068 717 euros. Dont 749 914 euros de fonds publics ; 33 261 euros de fonds privés (adhésions, dons, assurances, produits financiers…) ; et 285 542 euros de chiffre d’affaires. Les fonds publics représentent 70% de nos recettes. Je vous rappelle que la loi ne nous permet pas d’aller au-delà de 30% de notre budget pour nos recettes propres.
Chablais Insertion a 38 postes ouverts. Selon notre budget, un poste « coûte » donc 28 124 euros par an. Mais en dépenses publiques, il « coûte » 19 734 euros par an. On est donc déjà très loin des 42 100 euros par an, évoqués par l’IGAS.
Mais si l’on évoque la dépense publique, il serait bon que l’administration n’oublie pas les recettes et richesses créées par notre activité. Impôts et taxes reversés en 2012 = 30 431 euros. TVA et taxe sur la consommation payées en 2012 = 16 951 euros. Charges sociales payées en 2012 = 157 703 euros. Soit un versement pour 2012 à l’Etat de 205 085 euros.
Je retire donc de nos fonds publics ces versements. On arrive à un résultat de544 829 euros de réels fonds publics. Au final un poste « coûte » 14 337 euros par an. Soit 1194 euros par mois par personne en insertion. Et il est évident que ce calcul ne compte pas les charges et impôts versés par nos salariés.
Si l’on tient compte des derniers chiffres (Pôle Emploi), un demandeur d’emploi de longue durée indemnisé à l’aide au retour à l’emploi (ARE) et bénéficiaire de la CMU (couverture maladie universelle) de base, « coûte » 17 913 euros d’indemnisation par an à Pôle emploi, soit 1 492 euros par mois.
CQFD : soutenir une personne en insertion coûte moins cher que financer un chômeur. Mais l’Etat ne semble pas s’engager dans cette voie. Les publics en insertion ne sont-ils pas les vrais pigeons de la future réforme? On peut se poser la question.
Au-delà du « coût » des personnes en insertion, l’Etat oublie de tenir compte également de l’impact économique de nos activités :
- nos chantiers ne sont pas délocalisables;
- nos structures sont des lieux de collaboration territoriale et d’innovation sociale de par leur double projet économique et social.
- nous consommons sur notre territoire.
- nous créons de la richesse, de part nos activités, qui sont de véritables activités.
- Enfin, la majorité de nos chantiers participent à l’amélioration de notre cadre de vie, en milieu urbain, et en milieu rural avec l’entretien des espaces naturels et protégés, et de notre patrimoine
En conclusion, l’IGAS et l’IGF ont une analyse biaisée et non conforme à la réalité. Dans notre cas, il est moins coûteux de proposer un poste d’insertion à un demandeur d’emploi que de simplement l’indemniser. Ma réflexion a pour objet de valoriser l’apport des structures d’insertion auprès des décideurs politiques qui, soyons honnête, ne perçoivent pas toujours clairement leurs rôles et leur importance. Espérons que Monsieur Benoit Hamon intégrera tout cela dans son projet de loi sur l’économie sociale et solidaire, et ne passera pas sous les fourches caudines de hauts fonctionnaires bien loin des réalités du terrain.
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